Un soir de l'été 1570...
Non loin du port de Dubrovnik, le navire de Tremâhin Abdel Qrôh s'était ancré à la manière ancienne du peuple croate. Dans une crique abritée, non loin d'une île de terre stérile et de roche nu où paissaient distraitement quelques brebis. En amont de la crique, un village en pierres sèches prolongeait des falaises creusées d'escaliers troglodytes, sans que quiconque ne puisse distinguer de la mer quelque ouvrage travaillé de mains d'hommes. Ce petit village de pêcheurs pirates avait souvent accueilli les navires de ses compatriotes par le passé, comme tous les villages de cette sorte qui parsemaient les côtes de Dalmatie. Tremâhin se tenait à l'entrée de la taverne, scrutant des yeux les clients. Beaucoup étaient marins, tantôt pêcheurs, tantôt pirates, selon la qualité de la pêche et l'escorte des commerçants vénitiens. Tous avaient le visage marqué. Nul habitant de Dalmatie n'avait vu sa famille échapper aux guerres contre les Hongrois, Vénitiens ou autres Ottomans. Unis dans la lutte contre les envahisseurs étrangers, ils se connaissaient tous. Miroslav « il condottiere » se tenait à une table, face à la porte. Ne jamais être dos à une porte.
Tremâhin Abdel Qrôh pénétra dans la salle. Ses pas résonnèrent bruyamment sur le sol, et le silence se fit. Il saisit une chaise et s'assit face à Miroslav. Miroslav saisit le couteau à côté de son assiette. Il se coupa un morceau de fromage, lentement, très lentement. Les deux hommes se regardaient droits dans les yeux. Miroslav prit la parole dans le langage tchakavien des îles adriatiques : « Bonjour Zdravko Vladic. Ça fait plaisir de te revoir. - Bonjour Miroslav Vladic. Ça fait plaisir de te revoir, lui rétorqua Tremâhin en italien. - Toujours en colère ? Demanda Miroslav en turc. - Pourquoi ? Parce que j'ai perdu mon frère ou parce qu'il a rallié l'ennemi éternel ? (Tchakavien) - N'ai-je pas perdu le mien lorsqu'il se convertit à l'Islam et rallia l'Ottoman ? (Tchakavien) - Les Ottomans contrôlent la Terre et nous laissent libres dans la mer. Venise asservit nos côtes et pille nos eaux. Combien de famille de notre pays souffrent de ne pouvoir pêcher et commercer en Adriatique sans rendre compte aux tyrans italiens ? (Tchakavien) - Si les dalmates ralliaient Venise, ils pourraient jouir du commerce italien sans plus souffrir d'aucune guerre. (Tchakavien) - Si Venise n'essayait plus d'accaparer nos côtes, nos femmes et nos enfants, nous pourrions jouir du commerce italien sans perdre notre liberté. (Tchakavien) Sais-tu ce que le croate libre répond au condottiere ? (Italien) Idi kući! Drolja! (Tchakavien) - Je ne répondrai pas, car tu fus mon frère, répondit Miroslav en plantant son couteau dans la table. Sache cependant que tes amis Ottomans se révèleront plus terrible encore pour notre peuple que ne le sont les vénitiens. (Tchakavien) - Nous en rediscuterons quand la Dalmatie sera indépendante, il condottiere. (Tchakavien) » Tremâhin ressortit de la taverne, tournant le dos à Miroslav. Celui-ci reprit son repas dans un silence de mort.
_________________ Les Vénitiens le traquèrent avant que son nom soit connu Toute l'Europe le chassa sous le nom de Tremayne Crow Les Ottomans le recueillirent sous le nom de Tremâhïn Abdel Qrôh Seuls les vieux croates l'appellent encore Zdravko Vladic
Dernière édition par Tremâhïn Abdel Qrôh le Décembre 5th, 2012, 10:34 pm, édité 1 fois au total.
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