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 Sujet du message: De la révolte d'Urbino: Interrogatoire des meneurs.
MessagePublié: Avril 22nd, 2013, 2:31 pm 
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Il n'était pas rare que les geôles du Palais ducal d'Urbino accueillent des dissidents de tous poils et qu'ils en ressortent brisés et amoindris, du moins quand ils en ressortaient. Mais bourreaux et hommes de main au service de Guidobaldo Della Rovere pouvaient se réjouir, ils avaient désormais foule d'invités à "entretenir", et certains s'avéraient être des plus prestigieux.
L'un d'eux était un haut-fonctionnaire à la renommée non négligeable, ce qui rendait, fatalement, sa traîtrise des plus préoccupantes.

Le soir même de l'épisode sanglant, il fut enfermé dans une cellule. Nul traitement de faveur lui avait été réservé. On lui retira ses vêtement et ses insignes de distinction, le laissant croupir sans la moindre information, quasiment nu.
Une semaine plus tard, on vint le chercher pour le mener à une salle où trônaient notamment un chevalet, une table d’écartèlement, une chaise de Judas et milles et uns instruments dont l'usage allait de l'explicite au plus mystérieusement inquiétant. Puis, on laissa le prisonnier seul pendant six heures supplémentaires.

Le soleil commençait à décliner quand la porte de la salle s'ouvrit sur un ecclésiastique, escorté de cinq bourreaux. A ses parures et sa riche robe, le captif pouvait deviner aisément qu'il occupait un poste élevé dans la hiérarchie de l’Église.
Celui-ci fit signes à ses hommes de prendre place dans un coin de la pièce, et s'avança vers le prisonnier, le visage grave.

Conseiller Callisto Remigio, anciennement proche du duc Della Rovere. Vous étiez le plus influent meneur de la révolte, vous êtes à présent le plus prestigieux de nos prisonniers.

Il prit une chaise pour s'assoir près de lui.

Cependant, vous comprendrez qu'au vu de la gravité de vos actes, il est impossible pour votre seigneur de ménager l’accueil qu'il vous réserve en souvenir de votre ancienne... amitié. Au contraire, vous figurez parmi ceux dont il faudrait faire un exemple... Aussi, c'est la raison pour laquelle j'ai négocié l'importance de votre peine et que j'ai tenu à vous soumettre moi-même à la Question.
Ne perdez pas à l'esprit, tout à long de cet entretien, que tout ce que vous me révélerez pourra, à des degrés divers, alléger les sanctions retenues contre vous. Je suis nonce de sa Sainteté, ce qui me donne une certaine autorité sur le pouvoir terrestre.


Il marqua une légère pause, afin que les informations soient assimilés par l'esprit de l'homme déjà diminué, et reprit d'une voix posée.

Tout d'abord, j'aimerais connaître les raisons précises qui ont poussé un notable comme vous à renoncer aux faveurs ducales pour se retourner contre son seigneur.

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 Sujet du message: Re: De la révolte d'Urbino: Interrogatoire des meneurs.
MessagePublié: Avril 22nd, 2013, 7:10 pm 
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Remigio avait joué sa vie, ni plus ni moins, pour cette révolte.

Depuis dix jours, enfermé dans cette geole, il avait frôlé la folie. La faim n'avait pas été son plus gros ennemi. La faim n'était rien tant qu'on ne lui ajoutait le froid. Et le froid, en cet hiver des marches avait été si dure qu'il avait bien cru en mourir à plusieurs reprises.

Afin de lui faire prendre conscience de la gravité de son acte mais aussi sans doute afin de lui montrer que dorénavant tout lui serait retiré, peu à peu, et jusqu'au retrait final de la vie, on ne lui avait laissé sur les épaules qu'une chemise de lin. Une grande chemise beige qui était devenue marron au fil des jours et des nuits passées dans cette geôle. Rien d'autre qu'une chemise de lin... Sa nudité l'avait tout d'abord terrifié, tant elle le privait de dignité, face à ces geôliers aux regards et expressions pervers, et qui le traitaient comme ils pouvaient sans doute par ailleurs traiter une prostituée. Puis il s'y était fait. Remigio constatait avec terreur que l'homme se faisait à tout.

Est-ce que ce combat méritait un tel sacrifice ? Il en doutait. Privé d'information, il rêvait, pour rester en vie, que ses frères d'armes étaient en train de tenir leurs positions, à l'extérieur. Mais sa raison défaillait quand il songeait à sa femme et sa fille dont il était sans nouvelles depuis son arrestation. Ses jours et ses nuits, depuis, n'avaient été qu'angoisses et souffrances physiques dues au froid et à la faim. Le tout agrémenté d'un peu d'espoir. Un espoir tout aussi désespéré que la prière d'un condamné à mort.

Quand on vint le chercher pour l'emmener en salle de torture, la peur lui avait évidemment enserré l'estomac mais, pour tout dire, elle fut très vite remplacée par l'espoir. Espoir d'en finir une bonne fois pour toute. Espoir, également, d'avoir enfin des nouvelles de ce qui se passait à l'extérieur... La mort ne le terrifiait plus. Ce qui le terrifiait, c'était de mourir dans l'ignorance.

Il baissa la tête quand cet éminent homme d'église, au phrasé délicat, s'approcha de lui pour le questionner. Il eut envie de sourire, aussi. On lui eut présenté cet homme en un autre temps, dans son hôtel particulier, sans doute l'eut-il trouvé intéressant et sympathique.

- Mon Seigneur, Lança Remigio non sans efforts, ce qui pousse un homme à telle révolte, un homme qui comme moi avait tout, avait un rang, une famille, une descendance, c'est sans doute ce qui jadis poussa le christ à ce révolter aussi.

Il sentit à son regard que l'homme d'église avait été touché dans les fondements de sa foi.

- L'injustice, mon Seigneur. L'injustice des hommes. Voilà ce qui pousse un homme qui avait tout, à se battre pour ses semblables au point d'accepter de tout perdre, suivant en cela l'enseignement du Christ.

Il sentit sa tête tourner et s'interrompit quelques secondes.

- Mon Seigneur, l'homme que le Saint Siège a accepté de défendre est un voleur. Je mérite sans doute la mort, comme Jésus avant moi. Mais cet homme mérite la mort avec moi. Tous comme les deux voleurs que l'on tua avec le christ. Cet homme, pour assumer ses folles dépenses, a cru bon prendre l'argent de son peuple, toujours plus d'argent. Si bien, Mon Seigneur, que son peuple, en cet hiver, meurt de faim. Voilà pourquoi j'acceptai de me battre. Parce que bien qu'aisée, ma famille vient et vit auprès du peuple. Et que je ne puis y vivre heureux si les gens qui m'entourent y sont malheureux.

Il observa avec un instant d’effroi les instruments de torture qui l'entouraient.

- Vous avez choisi de me torturer, n'est-ce pas ? Alors faites le. Qu'on en finisse avec moi, vite et bien. Je vous demanderai d'informer ma femme sur cet instant. C'est tout ce que je souhaite. J'ose espérer que dans l'humanité qui vous reste, vous ne lui ferez pas de mal. Si je puis avoir cette certitude de votre bouche, Mon Seigneur, je serai sauf.


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 Sujet du message: Re: De la révolte d'Urbino: Interrogatoire des meneurs.
MessagePublié: Avril 28th, 2013, 11:59 pm 
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De Tormes écouta la confession de l'homme avec une attention sereine. Son visage ne montrait aucun signe de courroux, mais pas le moindre indice de bienveillance pour autant.
A peine le notable venait-il de formuler sa dernière requête que le silence retomba dans la salle, silence que le nonce accompagna d'une parfaite immobilité. L'atmosphère devint alors plus oppressante pour le prisonnier.

Je vous trouve bien orgueilleux, répondit-il enfin, de comparer votre acte de soulèvement au calvaire enduré par le Christ, mon fils...

L'espagnol se leva, mettant ainsi fin à la proximité qu'il entretenait avec Remigio.

J'ai été témoin de ce qu'il s'est passé à Urbino. Je ne nie pas que vous ayez combattu pour une cause juste à vos yeux. Cependant, je n'ai aucun jugement moral ou éthique à porter sur le duc Della Rovere. Il a fait appel à Rome et bénéficie encore du soutien de sa Sainteté.

En d'autres circonstances, j'aurai pu comprendre les raisons de vos agissements. Mais nous avons un problème de taille, monsieur Remigio. Vous avez blasphémé. Contre le Pape, donc fatalement contre l’Église et contre Dieu.

Le visage grave, il fit signe aux hommes qui l'accompagnait d'approcher. L'un d'eux tenait une corde dont il se servit pour attacher solidement le notable à sa chaise. Un autre se présenta devant lui avec une pince en fer.
Le nonce hocha la tête pour donner le signal. La tenaille attrapa l'ongle d'un pouce et l'arracha. L'opération fut répétée sur un index et un majeur avant que De Tormes ne reprenne la parole d'une voix plus forte.

Très bien, Callisto, nous vous écoutons. J'exige la liste de vos complices meneurs, maintenant !

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 Sujet du message: Re: De la révolte d'Urbino: Interrogatoire des meneurs.
MessagePublié: Mai 24th, 2013, 8:35 pm 
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Callisto concentra tous ses muscles pour contenir l'insupportable douleur qui, en quelques secondes, partant de son doigt, avait irradier tout son corps. Il ne put s'empêcher de crier. La vision de cette chair sanglante, de ce doigt sans ongle manqua de lui faire perdre connaissance. Puis la douleur laissa place à une intense chaleur dans laquelle semblait résonner les battement de son cœur affolé.

- Chiens ! Hurla-t-il. Vous n'êtes en rien le représentant de sa sainteté le pape ! Vous n'êtes que les laquais de sa Sainteté Della Rovere !!! Nous n'avons pas affronté des troupes du Seigneur Jésus Christ. Nous avons affronté la main armée de ce maudit monarque, enrichie de quelques mercenaires dont nous ignorions la provenance... Quant à vous, Mon Sieur, dans vos beaux atours, vous n'incarnez pas d'avantage Dieu que nous autres ! Vous incarnez l'injustice et la dévotion basse et servile à un monarque injuste.

Ses muscles se relachèrent et il s'effondra au fond du siège sur lequel il était attaché. L'un des bourreaux le gifla si violemment que durant quelques instant, son oreille droite bourdonna.

- Je ne vous livrerai ces noms que si vous me permettez d'écrire une dernière lettre à ma femme...

Il parlait désormais d'une voix faible et hésitante, comme à bout de souffle. Le contour de son oeil droit noircissait de seconde en seconde.

- Avant mon... mon martyr... Aussi, j'ose espérer, Seigneur, que vous aurez la bonté de me faire exécuter vite et bien. Sachez cependant, Monsieur, que même si vous nous tuez tous, vous n'empêcherez pas la croissance des idées pour lesquelles nous avons combattu. Et un jour, ces idées auront raison de vous. N'en doutez point. Quant à moi, je serai le plus heureux des hommes, loin de votre... enfer.

Son regard lointain et fatigué se transforma en regard de terreur quand il aperçut, dans le fond, l'un de ses tortionnaires, faire chauffer les pics d'acier avec lesquels, habituellement, on empalait les suppliciés...


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 Sujet du message: Re: De la révolte d'Urbino: Interrogatoire des meneurs.
MessagePublié: Mai 28th, 2013, 12:32 am 
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Face aux cris de douleurs du haut-fonctionnaire, l'espagnol conserva un stoïcisme qui ne souffrait pas la moindre manifestation d'émotion. N'obtenant pas de réponse immédiate à sa demande, il nota le regard éloquent du bourreau qui, retenant dans une pince un ongle ensanglanté, lui demandait la permission de continuer.
Mais loin de recevoir la bénédiction qu'il attendait, l'homme de Guidobaldo se heurta à un regard d'une autorité telle qu'il abaissa les tenailles sans la moindre objection.

J'ai connu en mon temps, reprit calmement le nonce, un étudiant Tarragonais qui, malgré le talent dont il faisait preuve dans son travail, s'était violemment querellé avec l'un de nos professeurs sur la question de l'application des Evangiles. Ses reproches allaient à l'étroitesse d'esprit de ce maître, provoquée par une trop grande lecture des pensées augustiniennes. Les problématiques ne concernaient pas uniquement les méthodes de travail, c'était le comportement jugé arriéré et profondément dénigrant pour nous autres jeunes aspirants théologiens que cet étudiant dénonçait.
Un jour, le Tarragonais, las que ses appels soient ignorés, et sans doute guidé par une trop grande impulsivité, se rendit chez le maître et brûla tous ses ouvrages qui, le pensait-il, avait corrompu son esprit et son âme. Les représailles se firent pas attendre, le maître n'ayant pas tardé à désigner du doigt le coupable.
Le Tarragonais fut mené à l'intérieur de la cour de l'Université et flagellé au sang devant l'ensemble des étudiants à titre d'exemple, de la main du professeur lui-même, puis laissé attaché à un pilier pendant six jours. Cette année-là, nous avions eu un mois d'août superbe... Il n'a pas survécu.


Il marqua une pause pour relever avec douceur le visage de l'homme.

La vérité est que je n'ai jamais apprécié ce maître qui n'avait pas le moindre amour pour Dieu ou l'enseignement, sinon un attachement indéfectible aux pratiques de l'Inquisition.
Ce jour là, je n'ai pas été lâche. J'ai simplement attendu, attendu le moment où il souffrait d'une position défavorable rendue plus difficile encore par sa vieillesse. Il était devenu haït de tous mais personne n'osait encore le démettre. Alors, j'ai frappé, par une lettre où je dénonçais des pratiques violentes et scandaleuses, enrichie de preuves savamment accumulées pendant ces années où je pensais à mon frère Tarragonais. J'y ai gagné sa destitution, comme sa place, sans la moindre difficulté.


Il s'écarta pour aller chercher sur une table et deux étagères différentes un parchemin, une plume et un encrier qu'il montra à Remigio.

Je vous écoute...

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 Sujet du message: Re: De la révolte d'Urbino: Interrogatoire des meneurs.
MessagePublié: Juin 4th, 2013, 11:51 pm 
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- Les habitants d'Urbino, Mon Seigneur, ne sont pas de gras moines qui peuvent se permettrent, à moindre frais et en concédant à la lacheté, d'attendre que leur tyran de père supérieur ne soit faible pour l'achever ! Les habitants d'Urbino, tous de bons chrétiens, tous bons sujets de leur Très Saint Père, sont des gens appauvris de mois en mois, par la cupidité de leur prince ! Vous opposez à des gens qui souffrent de la faim une bonne morale de monastère ! Souffrez, Monsieur, que cette morale là ne puisse être entendu !

Il s'avachit, épuisé, au fond du siège de bois auquel on l'avait attaché.

- Donnez-moi une plume. Je vais exercer ma lâcheté. Vous me la pardonnerez puisqu'il semble que vous en êtes coutumier. Cette lâcheté, je sais que c'est un sujet qui posera problème, là haut, quand je serai face à notre créateur. Il me jugera au regard de l'espoir que j'avais en moi, à ce moment là. Il saura que je n'ai fait ça que pour ma femme et ma fille. Il tranchera. Mais dites-vous bien, Monsieur, que si l'espoir que vous avez mis dans mon coeur était trahi par votre manque de parole, si ma femme ne devait recevoir la lettre que je dois lui écrire, vous en répondrez à votre tour, lors du jugement dernier. Vous répondrez d'avoir trahi ce marché de coeur.

Remigio saisit fébrilement la plume et le papier que lui tendait De Tormes. Il tremblait. Non par peur. Mais parce qu'il avait froid. Alors il écrivit d'une écriture qui ne ressemblait plus à son écriture habituelle. Il n'était plus lui.

- Je n'ai à ma connaissance jamais travaillé qu'avec 3 émissaires des révoltés lors de nos réunions. Je n'étais pas des leurs au départ. J'ai toujours tenté d'oeuvrer en conciliateur entre leur colère et celle du prince. J'avais néanmoins été plébiscité par l'assemblée comme leur grand représentant et j'avais, je le reconnais, face au sentiment grandissant d'injustice accepté cette lourde charge. C'est moi, donc, que je placerai en tête de liste.
- Callisto Remigio.
Quand aux 3 autres, ils furent mes interlocuteurs et intercesseurs avec le peuple des assemblées.
- Ernesto Damazzi, marchand. Trésorier de l'assemblée.
- Bichio, le maçon. Chef de la milice des conseils généraux.
- Massimiliano, le tailleur de pierre. Chef de la défense des révoltés.
Vous avez vos nom. Je veux pouvoir écrire ma dernière lettre à ma femme.


Il s'avachit de nouveau dans cette sinistre chaise de bois qui avait du connaitre d'autres martyrs, le regard perdu.


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 Sujet du message: Re: De la révolte d'Urbino: Interrogatoire des meneurs.
MessagePublié: Juin 10th, 2013, 12:19 am 
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La contestation de l'homme arriva en déferlante aux oreilles de l’ecclésiastique dont l'expression se teinta de lassitude. Les nuits étaient courtes ces temps-ci et il fallait tenir le rythme d'une guerre civile pour un prince dévoré par l'orgueil. Le froid glacial de l'hiver des Marches avait également raison de son énergie, lui qui avait été habitué à la chaleur de Salamanque et à la clémence de Rome.

Détachez-le.

Les hommes s'exécutèrent, libérant Remigio de ses liens. Salvatore déposa alors la plume, l'encrier et le parchemin sur la table, invitant le prisonnier à écrire les noms.
L'identité des meneurs tomba enfin. La plupart étaient tout au plus des petits bourgeois, sinon des gens du peuple. Le duc pouvait désormais frapper la révolte à son cœur, et la démanteler. Il aurait ses noms, mais serait-il seulement satisfait? Le nonce l'avait déjà entendu crier, dans un emportement tenant de la démence, qu'il faudrait lever des gibets jusqu'au Levant pour détruire tous ceux qui lui avaient nuit.

Il prit la liste d'une main dont le tremblement fut rapidement masqué par la rapidité du geste. Puis il regarda celui qui gardait une certaine noblesse malgré son allure pathétique.

Nous allons vous reconduire dans votre cellule où vous aurez le loisir d'écrire à votre épouse.

Il fit signe à deux soldats de le soulever de sa chaise et ramassa le matériel pour quitter la salle avec l'escorte.
Callisto fut raccompagné dans sa geôle et De Tormes attendit que les hommes de Guidobaldo sortent pour glisser quelques mots à l'ancien fonctionnaire.

Je vais défendre votre collaboration auprès de votre seigneur. Je conçois que vous prenez votre acte pour de la lâcheté mais songez qu'il vient peut être de vous sauver la vie.
Pour ce qui est de la lettre à votre épouse, je m'engage, quoiqu'il arrive, à la lui remettre en main propre.


Il se redressa pour exécuter un signe de croix et reprit d'un ton plus solennel.

Dieu vous garde, Remigio.

Et avant que ce dernier ne rétorque, il disparut.

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 Sujet du message: Re: De la révolte d'Urbino: Interrogatoire des meneurs.
MessagePublié: Juin 10th, 2013, 12:36 am 
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Remigio observa l'homme de Dieu et sut qu'il ne s'agissait là que de paroles de réconfort. Cependant, dans sa situation, un tel réconfort tenait du miracle.

Il acquieça alors machinalement aux parole de De Tormes et alla s'assoir à la vieille table de bois qui lui servirait de bureau pour écrire le dernier acte de sa vie.

Il attendit d'être seul et écrivit.

Callisto Remigio a écrit:

Ma tendre et douce épouse adorée,

Me voici aux portes de l’autre monde. Non par ma volonté et peut-être pas non plus par celle du Seigneur mais par celle des hommes de ce siècle.

Si j’ai un seul regret, c’est celui de te laisser seule et de te savoir inconsolable. Je nourris une puissante culpabilité en cela.

Je crois néanmoins avoir agi en conscience et ne pas regretter ce combat pour la dignité de nos gens. Je sais que tu ne m’en veux pas d’avoir mener ce combat et je sais aussi que nous n’aurions jamais pu nous regarder en face, si nous ne l’avions pas mené. Je ne regrette rien car tout a été fait selon la parole de nostre Seigneur mais aussi parce que je sais que tu m’as compris jusqu’en cela.

Comprends bien, mon aimée que je fermerai les yeux sur ce monde en pensant à toi et que nous ne serons séparé que momentanément. Nous nous retrouverons un jour dans la joie.

Je te lègue tous mes biens et titres. Nous possèdons des domaines dans toute la région. Aussi, vous ne serez pas dans le besoin. Il serait bon que vous alliez vous installer quelque temps à San Stefano, aux confins du duché, ce domaine où nous aimions passer nos vacances. Vous y passerez le printemps et l’été. Je veillerai sur vous, toujours.

Enfin, j’ai fait tout cela pour nostre fille. Pour qu’elle puisse grandir dans un monde de justice. Oh je sais que tout ceci semble pour l’instant perdu et dérisoire mais j’ai la conviction en cet instant que nous avons semé une graine. La graine d’un arbre fort et puissant qui ne cessera de grandir. Le semeur n’en verra pas le résultat mais notre fille le verra.

J’aimerai que tu lui lises ce qui suit parce que cela lui est destiné. Quand elle sera en âge de lire et de comprendre les choses de ce monde, tu pourras lui donner cette lettre.

A ma fille, donc. Il y a dans ce vaste univers qui entoure nostre monde d’austres mondes et c’est là que je m’en vais. Je ne puis y aller qu’au prix ultime de la mort mais en cela ne nourrit point de haine envers mes bourreaux. S’ils me séparent momentanément de toi, ils me permettent aussi de préparer une vie meilleure, pour nous tous. Sois certaine que nous nous retrouverons et que je serai toujours auprès de toi, par la pensée. Cultive simplement ma mémoire et souviens-toi que c’est l’injustice que j’ai combattu et l’amour des paroles de christs que j’ai défendues. Que cette lutte et ces paroles puissent inspirer ta vie et t’aider à être la fille que tu dois être. Amalia Remigio. Ainsi, je souhaite que tu grandisses éloignée de la haine. Je souhaite que tu fasses grandir ton amour chaque jour pour qu’un jour il soit assez puissant et fasse éclore un monde meilleur. Rappelle-toi que ce fut cela, mon combat. Rappelle-toi également, sans pour autant y penser trop, que dans l’autre monde, ton père t’attend et prépare la vaste demeure où un jour nous serons tous réunis. Cette demeure est placée sous la bienveillance de notre seigneur le Christ. Tous les hommes y sont égaux et prospères. Inspire-toi de ce monde d’où je t’attendrai désormais pour bâtir le tien, ma douce et adorée fille. Ta vie sera riche parce que tu es intelligente et belle. Tu tiendras dignement mon rang, tu prendras bon parti, j’en suis certain. Tu seras la digne régnante des Remigio. Le moment venu tu hériteras en effet de nostre titre mais en attendant, je te demande de rester toujours sage et bienveillante avec ta mère. Je t’aime, ma fille.

Voilà mon aimée, il est temps de te faire mes adieux. Sois rassurée, j’ai été traité comme un homme de mon rang et ne souffrirai mort dégradante.

Je t’aime.

Callisto.




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 Sujet du message: Re: De la révolte d'Urbino: Interrogatoire des meneurs.
MessagePublié: Juillet 3rd, 2013, 12:21 am 
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Un jour s'était écoulé depuis l'interrogatoire de l'ancien haut-fonctionnaire Remigio. Au dehors, la neige ne cessait de tomber, couvrant d'un manteau immaculé les corps des victimes de la répression ducale. Le seigneur était à l'image de son palais: orgueilleux, flambant mais profondément glacial et sec. L'audience prochaine était imminente et l'espagnol se doutait que le Della Rovere ne se contenterait pas des réponses apportées. Il serait rapidement insatisfait, gronderait, ferait grand tapage...

Encore une poignée de minutes. Agenouillé face à une croix en or constellée de perles, ouvrage des ateliers français du siècle précédent, le nonce ferma les yeux et pria. Les appartements que lui avait réservé le duc au premier étage du palais étaient vastes, quoique moins imposants que la plupart des pièces nobles. C'est dans cette chambre que Salvatore avait pourtant disposé chacun des quarante trésors d'orfèvrerie qui ne le quittait jamais lors de ses voyages, témoins d'une collection vaticane qu'il nourrissait depuis plus de vingt ans à présent.

Le souvenir de la guerre civile lui revint en images furtive et les murmures de ses prières se firent voix avec une intensité plus forte. C'est à cet instant précis que quelqu'un toqua à la porte, le tirant de sa ferveur par un sursaut.

- Monseigneur De Tormes, demanda timidement un page en entrebâillant le vantail. Mon seigneur le duc vous demande avec fort impatience.

Poussant un long soupir, le nonce fit un signe de croix et quitta son prie-Dieu.

- Décidément, le repos des morts sera toujours supplanté par l'empressement des vivants...

- Désirez-vous que je fasse appeler vos gardes pour une escorte ?


- Une escorte jusqu'à la salle de réception? demanda l'espagnol en souriant. Je crois que je m'en passerai bien pour une fois. Allons, sers-moi donc d'escorte officielle, puisque tu tiens tant au protocole.

Prenant dans sa main la liste écrite par Remigio, il s'avança, non sans montrer quelques fragilités d'équilibre. Intimidé, le jeune homme rougit, et il fallu que l'ecclésiastique l'invite, d'un geste de la main, à avancer une nouvelle fois pour que le garçon s'engage dans le couloir.
Après une descendre du grand escalier plutôt douloureuse mais stoïquement menée, le nonce et le page arrivèrent dans la grand-salle de réception où Guidobaldo les attendait.

- Seigneur Della Rovere, lança le garçon d'une voix forte mais tremblante . Monseigneur De Tormes, évêque de... de Tarragone, nonce apostolique de sa Sainteté le Pape Grégoire XIII et... chan...chancelier de l'Université de...

Posant une main apaisante sur l'épaule du page, l'espagnol enchaina d'une voix posée et cordiale.

- Monsieur le duc, me voici, comme vous l'avez demandé. Nous pouvons donc nous entretenir à votre guise sur ce qui nous occupe.

La main posée sur l'épaule se fit tapotement et le jeune page sut qu'il devait s'éclipser. Seul face au duc, De Tormes s'avança, lui tendant la liste de noms.

- Je suppose que ceci devrait vous intéresser. Voici les noms des comparses de votre ancien protégé et désormais traître Callisto Remigio, apposés de sa main, cela va sans dire.

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 Sujet du message: Re: De la révolte d'Urbino: Interrogatoire des meneurs.
MessagePublié: Juillet 3rd, 2013, 11:28 pm 
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Le prince semblait tourmenté. Assis, sur son trone, il ne parvenait pas à garder son calme, suait, changeait sans cesse de position tant toute posture lui semblait inconfortable. Depuis quelques nuits, il avait grand mal à garder le sommeil. D'aucun pensait que la mauvaise conscience le hantait mais en réalité, c'étaient surtout ses problèmes financiers qui lui causaient souffrance. Certes, sa cité était reconquise. Certes, tout désormais rentrerait dans l'ordre. Mais il savait qu'il serait plus que jamais tenu de rendre compte auprès du Saint Siège, devenu son débiteur. Or cette perte d'autonomie malmenait l'orgueil du Duc d'Italie qu'il était.

- Bien, bien, Mon Seigneur, grand merci à vous, lança-t-il sèchement en prenant le parchemin que lui tendait De Tormes.

Il lut et se retint pour ne pas exploser.

- Tout d'abord, Mon Seigneur... je... réitère mon admiration pour les armées de nostre Saint Père, pour sa fort brillante action et pour vostre magistral commandement. En cela, j'ai tenu à ce que vous soyez personnellement remercié.

Le monarque fit un bref signe de la main et quelques serviteurs déposèrent au pied de De Tormes, un coffre rempli d'objets sacrés en or, croix et autres calices, finement sertis de pierres précieuses.

- Bien, reprit-il, considérant avec mépris le papier qu'il tenait à bouts de doigts, comme pour éviter de se salir. Voyez-vous De Tormes, vous êtes un homme brillant. Un homme appréciable. J'ai consenti à vous confier la question de ce Remigio... Cependant, je crains que vostre grande bonté, vostre chrétienne charité, et sans doute également vostre âge avancé, et en cela vous êtes louable car sage, ne vous aient attendri mal à propos. C'est cependant de ma faute, j'en conviens. J'aurais du confier cela à mes hommes. Ils connaissent en effet mieux cette cité, ses habitants... Pardonnez-moi si je vous dis ainsi une brutale vérité mais ce Remigio vous a berné ! Et à travers vous, c'est moi qu'il a berné et trahi une seconde fois !

Il se tut pour observer les réactions du prélat mais n'en trouvant pas, enchaîna.

- Mon cher De Tormes, cette liste ne cite que des noms de disparus ! Tous les hommes présents ici ont en effet été tués. Devant ce cruel manque de respect, j'exige, et je sais que vous serez de mon avis, que Remigio soit torturé puis exécuté en place public. Eu égard à l'estime que je vous porte, je vous laisserai juge de l'exécution qui vous semble lui convenir. J'ose espérer, cependant, que vous choisirez le feu et que l'exemple sera si terrifiant pour la population, qu'à jamais elle se rangera dans le camp de nostre bon seigneur Jésus Christ. Je vous laisse disposer Mon Seigneur. Et j'espère que ces quelques présents vous aideront à trouver la force indispensable à vostre mission.


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