Remigio avait joué sa vie, ni plus ni moins, pour cette révolte.
Depuis dix jours, enfermé dans cette geole, il avait frôlé la folie. La faim n'avait pas été son plus gros ennemi. La faim n'était rien tant qu'on ne lui ajoutait le froid. Et le froid, en cet hiver des marches avait été si dure qu'il avait bien cru en mourir à plusieurs reprises.
Afin de lui faire prendre conscience de la gravité de son acte mais aussi sans doute afin de lui montrer que dorénavant tout lui serait retiré, peu à peu, et jusqu'au retrait final de la vie, on ne lui avait laissé sur les épaules qu'une chemise de lin. Une grande chemise beige qui était devenue marron au fil des jours et des nuits passées dans cette geôle. Rien d'autre qu'une chemise de lin... Sa nudité l'avait tout d'abord terrifié, tant elle le privait de dignité, face à ces geôliers aux regards et expressions pervers, et qui le traitaient comme ils pouvaient sans doute par ailleurs traiter une prostituée. Puis il s'y était fait. Remigio constatait avec terreur que l'homme se faisait à tout.
Est-ce que ce combat méritait un tel sacrifice ? Il en doutait. Privé d'information, il rêvait, pour rester en vie, que ses frères d'armes étaient en train de tenir leurs positions, à l'extérieur. Mais sa raison défaillait quand il songeait à sa femme et sa fille dont il était sans nouvelles depuis son arrestation. Ses jours et ses nuits, depuis, n'avaient été qu'angoisses et souffrances physiques dues au froid et à la faim. Le tout agrémenté d'un peu d'espoir. Un espoir tout aussi désespéré que la prière d'un condamné à mort.
Quand on vint le chercher pour l'emmener en salle de torture, la peur lui avait évidemment enserré l'estomac mais, pour tout dire, elle fut très vite remplacée par l'espoir. Espoir d'en finir une bonne fois pour toute. Espoir, également, d'avoir enfin des nouvelles de ce qui se passait à l'extérieur... La mort ne le terrifiait plus. Ce qui le terrifiait, c'était de mourir dans l'ignorance.
Il baissa la tête quand cet éminent homme d'église, au phrasé délicat, s'approcha de lui pour le questionner. Il eut envie de sourire, aussi. On lui eut présenté cet homme en un autre temps, dans son hôtel particulier, sans doute l'eut-il trouvé intéressant et sympathique.
- Mon Seigneur, Lança Remigio non sans efforts, ce qui pousse un homme à telle révolte, un homme qui comme moi avait tout, avait un rang, une famille, une descendance, c'est sans doute ce qui jadis poussa le christ à ce révolter aussi.
Il sentit à son regard que l'homme d'église avait été touché dans les fondements de sa foi.
- L'injustice, mon Seigneur. L'injustice des hommes. Voilà ce qui pousse un homme qui avait tout, à se battre pour ses semblables au point d'accepter de tout perdre, suivant en cela l'enseignement du Christ.
Il sentit sa tête tourner et s'interrompit quelques secondes.
- Mon Seigneur, l'homme que le Saint Siège a accepté de défendre est un voleur. Je mérite sans doute la mort, comme Jésus avant moi. Mais cet homme mérite la mort avec moi. Tous comme les deux voleurs que l'on tua avec le christ. Cet homme, pour assumer ses folles dépenses, a cru bon prendre l'argent de son peuple, toujours plus d'argent. Si bien, Mon Seigneur, que son peuple, en cet hiver, meurt de faim. Voilà pourquoi j'acceptai de me battre. Parce que bien qu'aisée, ma famille vient et vit auprès du peuple. Et que je ne puis y vivre heureux si les gens qui m'entourent y sont malheureux.
Il observa avec un instant d’effroi les instruments de torture qui l'entouraient.
- Vous avez choisi de me torturer, n'est-ce pas ? Alors faites le. Qu'on en finisse avec moi, vite et bien. Je vous demanderai d'informer ma femme sur cet instant. C'est tout ce que je souhaite. J'ose espérer que dans l'humanité qui vous reste, vous ne lui ferez pas de mal. Si je puis avoir cette certitude de votre bouche, Mon Seigneur, je serai sauf.
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