Nul ne savait encore, à cette heure, que l'an 1573, serait pour les peuples d'Urbino et de Pesaro, une horrible année de disgrâce.
En ce début d'année, un magnifique souffle de liberté s'abattait sur la Marche d'Italie. Un souffle divin, on aurait dit enthousiasme, doublé d'une soif si longtemps contenue qu'elle ne pouvait plus rester d'avantage inassouvie. Cette soif de liberté, de prospérité méritée, de justice divine, cette foi dans les valeurs de la fraternité, de l'égalité et de l'amour du christ, aussi, c'était ce qui pour l'heure, malgré tous les risques encourus, rassemblait les foules immenses autour des principaux lieux d'échange d'Urbino et du Conseil Général. Cette soif que chacun sentait sur le point d'assouvir, ce sublime espoir, emplissaient les cœurs, tant et si bien que la rudesse de cet hiver neigeux ne semblait plus avoir prise sur les corps.
La hausse des impôts avait été, pour la majorité du peuple, le prétexte au déclenchement de cette révolte, vers la fin de l'année 1572. Oh certes, la volonté d'avoir un peu plus de pain, de fromage, de vin, à chaque repas, par la diminution de certains impôts, était bien une réalité mais ce qui dominait, par dessus tout, c'était sans doute l'espoir en un avenir meilleur, pour soi et surtout pour sa progéniture. Un espoir qui ne trompait pas quand il se mesurait aux flots de paroles et de revendications qui inondaient le Conseil Général. Partout, les gens s'emparaient de la parole, actaient leurs doléances. L'un d'eux hurlait son besoin à la face de Dieu et tous les autres reprenaient sa parole en chœur. Il y avait ici un feu magnifique qui était en train de prendre !
La hausse des impôts, ordonnée par le Duc Della Rovere pour éponger les dettes de son duché, avait été le prétexte à ce vaste soulèvement populaire qui couvait en réalité depuis fort longtemps. Il suffit donc de peu pour que les intérêts de l'élite bourgeoise marchande rejoignent ceux du reste du peuple. Ce peu, c'était une hausse des impôts... Le peuple avait besoin d'un prétexte pour exploser. Aussi quand la bourgeoisie lui en fournit un qui la mouillerait à part égale, il n'hésita pas. Il saisit l'opportunité et explosa superbement.
Le jeune Valerio avait Onze ans et pour lui, comme pour sa bande de copains, cette révolte ressemblait à un grande fête populaire qui ne s'arrêtait pas. Que cette fête indéfinie lui semblait belle et riche ! C'était comme si la foire de Pâques avait débuté pour Noël et ne s'arrêterait plus ! Chaque soir, Valerio priait secrètement pour que tout cela continue le plus longtemps possible.
Valerio était le fils du tailleur de Pierre Massimiliano. Sa mère était morte en couche, à sa naissance. Il passait ses journées d'enfant de 11 ans à aider son père et à apprendre son futur métier de tailleur de pierres. Secrètement, Valerio rêvait de devenir bâtisseur, voire architecte, et de pouvoir ériger à Gênes ou Venise, le plus beau Palazzo de tous les temps... Il savait néanmoins que sa modeste condition et son hérédité populaire ne lui autoriseraient jamais un tel avenir. Il s'y était résolu à dire vrai. Mais il lui arrivait, à la tombée de la nuit, de tailler de magnifiques palais miniatures dans quelques déchets de marbre. Depuis le début de cette révolte, le jeune Valerio voyait ses rêves d'architecture ressurgir. Et puis, Bichio, ce maçon, ami de son père, celui-là même qui s’enfermait dans le clocher pour sonner l’appel au conseil général, ne disait-il pas qu'il était temps de rebâtir la république, ici et maintenant, d'élever des palais au Bien Commun, des lieux magnifique, à la gloire du savoir et de Dieu, où chacun pourrait s'émerveiller et prospérer ? Valerio ne ratait aucune de ses assemblées, avec ses amis. Ils ne rataient jamais une occasion d'hurler de concert avec les adultes, même s'ils ne comprenaient pas toujours ce qu'ils disaient. Ils comprenaient la soif de liberté et c'était là l'essentiel.
Comme tous les après-midi, la foule s'était amassée au Conseil Régional et les discussions, les cris, les rires, avaient repris.
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