Vostre Excellence,
Humble administratore pour nostre République en terre de Corse et par-là même vostre dévoué représentant et serviteur, je prends la plume pour ma défense et pour vous mettre en garde contre des Méchants et des Jaloux qui veulent ternir ma probe réputation en persiflant des faussetés comme quoi je n'utiliserais point l'usufruit de mon mandat à renforcer les défenses militaires de ladicte terre mais à en dépenser les subsides dans l'édification de lieux de saoûlerie et de tabagie tels des tavernes, salles de bal voire-même bordels aux débauches sans nom.
Bien entendu, je says vostre clairvoyance et vostre sagacité, bien-connues, pour ne poinct porter créance à de telles sottises.
Lesdits Jaloux dont je tairai le nom sont, sans doute, de ceux qui ne souffrent poinct que ce soit un homme d'humble extraction qui réussisse là où ils ont échoué.
Les défenses que j'ay mises en place en terre de Corsica sont des défenses infaillibles, je ne suis pas peu fier de clamer que j'y ai largement contribué et c'est volontiers que je vous en entretiendrai plus longuement si vous en avez l'envie. Certes, il y a moins de remparts et d'hommes en armes que le souhaiterait un administrateur peu sagace, mais les gens de Corse sont plus sensibles aux bonnes grâces qu'on leur faict et à la bonne composizione de celui qui les gouverne plutost qu'au deploiement de spadassini bestiali que n'y font qu'à boire leur vin et importuner leurs filles et qui ne les protègent nullement des incursioni mauresche ou hispaniche. Quant au port, il ne produit certes que quelques tartanes de pêche ou de commerce, mais mes capitaines sont assez habiles pour les faire courir lestement sans avoir besoyn de lourdes et costose galeazze pour les protéger. Nous nous contentons de ce qui est necessayre, je vous l'assure.
De plus, et de celà vos accomptants peuvent en témoigner, la prospérité du bourg de Pietraverde, dont j'administre le comptoir depuis mon domaine, rejaillit directement sur la prospérité de nostre buona città de Genova. Je suppose que vostre fermier general administrant l'Isle de Corse vous a entretenu des larges versements pécuniaires que je lui fays attribuer, autant pour lui-même que pour les caisses de la Réppublica, preuve que l'endroit que j'administre devient riche et bien portant.
Le chêne Corse est de belle taille et se vend très bien, chêne que je prends bien garde à faire replanter pour ne point épuiser les forests. L'olivier aussi y est d'excellente qualité comme en témoignent les huiles fines que je vous ai faictes apporter depuis mon domaine personnel, huiles que j'ay pris la peine de fayre accompagner d'aulx que je fais cultiver, et dont la réputation d'excellence pour la santé du corps et de l'esprit commence à franchir les mers jusqu'à Marsiglia même.
Vous supposant amateur de belles et bonnes choses, j'ay pris la liberté d'accompagner ces modestes présents de quelques caisses de ces salaisons corses dont on parle tant et qu'aussi je fais produire à Pietraverde, mais qui seraient peu sans ces vins fins du Royaume de France que j'ay faicts quérir par mes capitaines-marchands en Marsiglia.
Aussi, les playsirs de la table n'estant rien sans les autres, accompagnent mon messager et ses porteurs ces deux adolescents aux traicts délicats. Ils sont dotés de belles dispositions notamment pour la musyque mais ce ne sont pas là leurs seuls talents...ayant pris soyn de les éduquer moi-même à seules fins de vous estre avenants en tout.
Le garçon Giovanni vous ravira les oreilles car il s'entend fort bien à jouer de la viole-de-gambe, quant à Ginevra, sa voix est enchanteresse. Je les ay bien enjoincts de vous estre agréables en tout et d'estre bien attentifs à vostre bon vouloir, sachant bien vostre affabilité et vostre délicatesse dont la réputation est venue jusques chez moi.
Certayn que vous ne serez point abusé par toutes les calomnies courant à mon sujet et vous layssant jouyr maintenant de la méditation propice à tout homme de pouvoir, je vous salue bien bas et bien respectueusement.
Vostre humble et dévoué serviteur,
Benvenuto Scorvini di Pietraverde
Nota : Ne prenez poinct garde au pendentif d'argent accompagnant ma missive, c'est un humble présent que je vous fays et tiens d'un ami compatriote genovese, il signor Giovanni Verrazano qui s'employe à explorer les Mers de l'Occident pour le compte des Roys de France. Selon ses dires, ils croyse parfois des navyres marchants hispaniols revenant des Indes Occidentales, étant ennemi d'iceux par son allégeance au Roy françoys il est sommé, par fidélité à ladicte allégeance, de les prendre d'abordage. Il en retire des bénéfices dont nous pourrions je pense tirer nostre part en faysant fi de certayns stupides traités entre nations lesquels n'ont aucune valeur en pleine mer. De plus je pense que celà ferayt bien enrager nos ennemys espagnols sis en face de mes domaines, en Sardaigne. Qu'en pensez-vous Excellence ?
B.S
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