Domaine Della Rovere, 21 décembre 1572.
Derrière les vitres de la grand-salle du palazzo, la pluie tombait sans discontinuer depuis le matin. Nous étions tôt dans l'après-midi et déjà, de nombreuses bougies et chandelles avaient été allumées pour palier au manque de luminosité. Vêtue d'une robe élégante mais simple, dans les tons de vert et brodée d'argent, Fiorenza Della Rovere attendait la venue des émissaires d'Urbino.
- Giuliano, cessez de faire les cent pas, voulez-vous?
L'homme (et conseiller) s’immobilisa derechef, devant la grande cheminée.
- Pardonnez-moi, signora, mais vous prenez des risques avec cette entrevue. Ils devraient être là depuis deux bonnes heures déjà et je crains que…
- Craindre le pire ne fera pas avancer les choses, répondit-elle tranquillement. Asseyez-vous et…
- Signora Fiorenza ! Ils sont là !
Un page fit soudainement irruption dans la salle, essoufflé (fait appuyé par son embonpoint). La jeune femme le regarda et se leva avec un sourire cordial.
- Qui donc ? Mes visiteurs d’Urbino ou les hommes de mon bon père Guidobaldo ?
Son regard coula vers Giuliano qui lui répondit avec une parfaite exaspération muette.
- Urbino signora.
- Hé bien faites-les entrer, je vous prie.
Le page s’effaça et quelques instants plus tard, six hommes, composés majoritairement de petits bourgeois et de représentant du peuple, firent leur entrée. L’un d’eux s’avança et s’inclina pour prendre la parole au nom de tous.
- Contessa Della Rovere, c’est un plaisir et un honneur de vous rencontrer. Je me nomme Bartolomeo, et voici les émissaires Ludovico, Ascano, Salvatore, Tommaso et Battista. Tout d’abord, nous tenions à vous remercier de nous avoir accueillis dans votre Domaine pour évoquer cette affaire des plus…délicates.
- Saluti, emissarii ! Vos vêtements sont trempés. Installez-vous à table, près de la cheminée, je vais vous faire servir un repas chaud, vous serez plus à l’aise pour converser.
- Vous semblez également éprouvés, messeri, intervint Giuliano. Avez-vous rencontré quelques déconvenues en chemin ?
Bartholomeo parut hésiter, regarda tour à tour la cheminée, la table et ses compagnons avant de répondre.
- Gracie mile, signora, mais nous ne pouvons nous attarder longtemps, le temps presse. En effet, nous… nous avons dû contourner une troupe de miliciens en sortant de la ville. Ils ne nous ont pas vu mais… en passant près d’eux, nous les avons entendu parler de la répression.
- Et qu’est-ce qui vous faire croire qu’ils ne vous ont pas vu ! s’emporta le conseiller. Imaginez les conséquences s’ils mettent la main sur vous à votre ret…
- Silence, Giuliano ! Poursuivez sire Bartholomeo, et dites m’en plus sur cette répression.
- Ce mot-là est dans les bouches de tous les habitants d’Urbino. Mais les premiers qui seront châtiés en guise d’exemple ne seront autres que les insurgés les plus actifs dans cette lutte, ceux qui guident le mouvement, à savoir nous six.
Il marqua une pause et reprit.
- Signora, j’ai conscience que notre entrevue vous met dans une situation difficile vis-à-vis de votre famille et nous sommes navrés d’imposer pareille chose à une dame de votre rang…
- J’ai pris mes engagements dans cette affaire et j’ai choisis mon camp. Venons-en à l’essentiel, que proposez-vous ?
- Et bien voilà, le mieux que nous puissions faire reste d’empêcher une révolte d’éclater. Nous avons tâché de mettre en œuvre des pourparlers, des négociations, en vain. Nous sommes aujourd’hui au pied du mur et il ne reste qu’une personne susceptible de convaincre nostro duca de prendre des mesures pour soulager son peuple, vous signora contessa. Peut-être que si vous discutiez avec lui du prélèvement excessif des taxes qui ne tarderons pas à mettre la ville à sa ruine… Un petit pourcentage d’allègement suffirait à nostro duca de regagner l’estime de la population d’Urbino.
Tous les regards s’orientèrent vers la jeune femme qui fit quelques pas dans la salle, le visage sombre. Au bout d’un long silence, elle répondit finalement.
- La révolte ne doit pas avoir lieu, où ce sera un véritable massacre, croyez-moi. Mon père n’est pas homme à faire des compromis mais je vais discuter avec lui et tâcher d’obtenir 10% sur la levée des taxes. En retour, j’attends de vous que vous canalisiez les débordements au sein de la ville. L’effort doit venir de chacun d’entre nous.
Un sourire éclaira le visage des émissaires.
- Gracie, Signora, pour votre investissement, votre écoute du peuple et votre compréhension. Mes compagnons et moi-même nous repartons. Urbino n’oubliera pas votre geste. Que Dieu vous garde.
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Dernière édition par Fiorenza Della Rovere le Décembre 21st, 2012, 4:41 pm, édité 2 fois au total.
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