Près de Pesaro, le domaine de Fiorenza était en effervescence depuis la répression sanglante d'Urbino. Les réfugiés arrivaient généralement en petits groupes et s'intégraient facilement aux autres citoyens. Mais il fallait les loger comme les nourrir, et l'accroissement des cultures comme les travaux d'agrandissements urbains réquisitionnaient l'ensemble de la communauté.
En plus de gérer l'administration de sa maison forte, la comtesse visitait souvent ses gens pour s'enquérir de la progression des affaires en cours, apportant même sa contribution.
Le soleil venait à peine de se lever quand un coursier arriva aux portes du domaine. Il apportait une lettre que réceptionna Giuliano en lui échangeant, quelques pièces pour la commission.
Le secrétaire gagna ensuite la demeure endormie et frappa à la porte de la chambre de Fiorenza. Celle-ci s'éveilla en sursaut et c'est en chemise de nuit, les cheveux rassemblés en une tresse unique qu'elle lui ouvrit.- Giuliano? demanda-t-elle la voix encore endormie.- Une lettre, signora, dit celui-ci en lui tendant la missive. De la part de celui dont vous ne cessez de répéter le nom sans même en avoir conscience.Un large sourire naquit sur les lèvres de la comtesse qui saisit la lettre et l'ouvrit avec grande impatience.- Merci Giuliano. Hem... Je vous rejoins à huit heures pour tenir conseil mais en attendant, auriez-vous la bonté de me laisser seule et de préciser à chacun qu'il est inutile de venir me déranger?- C'est comme si c'était fait, répondit le secrétaire. Oh et tant que j'y s...Trop tard. La porte venait de se refermer. C'est donc en pestant aigrement que l'homme repartit, bien décidé à souffler quelques pages en attendant le conseil.
A présent nettement réveillée, Fiorenza se posa à son écritoire pour lire la lettre et, le cœur ardent d'enthousiasme, s'arma d'une plume et d'un encrier pour répondre. Citer:
Mon très cher Venanzio,
Tout se déroule ici dans une rapide et étourdissante activité où je me perds pour mieux supporter votre absence. Ces journées et ces nuits passées auprès de vous ont été si belles et si fortes que rester inerte ne ferait pour moi qu'accentuer le cruel manque que je ressens à vous savoir éloigné.
Tenir ménage, administration et assurer le confort des réfugiés est dans mes devoirs mais je partage avec mes gens autant qu'avec ceux d'Urbino dont les efforts pour se reconstruire et se projeter vers une vie nouvelle me surprennent et me touchent plus que je ne l'aurait cru possible. Ils exorcisent leur chagrin et l'horreur dont ils ont été victime par le labeur magnifié par une énergie et une générosité formidable. Pour moi dont la naissance m'a "protégé" de cette condition, je réalise combien j'ai à apprendre de ces hommes et de ces femmes.
Je tiens, de ce fait, à vous donner des nouvelles de Valerio. Depuis son arrivée, il a beaucoup progressé et parvient désormais à prendre la parole sans qu'on le lui demande. Certes, ce sont là encore de simples salutations et remerciements, mais je crois en sa capacité à se sortir de l'horreur qu'il a vécu. Il est cependant très important de lui accorder le plus possible d'attention, particulièrement lorsque son regard redevient sombre et perdu. Et pour cela, le mieux est de lui proposer de monter l'alezan dont vous lui aviez fait cadeau. Ces instants sont pour lui une source de joie qui lui fait oublier ses malheurs de manière assurément bénéfique. Hier, il a réussi à échapper à la vigilance d'Orsina et à faire seul le tour du logis des gardes. Elle m'a appelée en catastrophe et s'est excusée à grand renfort de cris que j'ai rapidement apaisés en voyant le garçon revenir, escorté d'un vétéran. Cette farce a, je crois, beaucoup plu à Valerio qui, depuis, tient à prendre tout particulièrement soin de son cheval.
Il me parle aussi beaucoup de vous. Se souvenir est pour lui difficile mais il vous est infiniment reconnaissant de l’avoir sauvé.
Augustina Von Metternhoven, dites-vous ? Eh bien, si cette pauvre enfant vit dans la plus noire chasteté et la soumission à sa stricte famille, je ne peux que l’encourager à s’en défaire. Mais cela en reviendrait à s’opposer à son père qui est un homme d’envergure, comme l’est également le mien. Cependant, il va de soi que l’un des deux ducs à de plus grandes valeurs que l’autre, et je penche naturellement vers l’impérial, quoique j’espère encore guérir celui de mon sang.
J’ai grand hâte de prendre la mer pour mettre le cap sur la Sérénissime à vos côtés. Ce fier briscard de Mario Barat rêve de lever à nouveau les voiles du "Lupo di mare". Je crois que lui aussi sera ravi de revoir le palais des Doges, le temps de s’accorder un plaisir avant de reprendre ses obligations maritime. Il a à Venise, dit-il, une dizaine de maîtresses. Mais à ce sujet, je le soupçonne d’avoir un peu forcé sur la grappa.
Si vous devez être élu sénateur dans les prochains jours, je vous accompagnerai en pensées à défaut de faire pencher la balance en votre faveur. Mais j’ai foi en vous, vous votre charme et l’élégance de votre rhétorique, vous allez recueillir l’ensemble des voies !
Une quinzaine de jour avant de vous revoir, Dieu que c’est long ! Alors nos retrouvailles n’en seront que plus ardentes, et comptez sur moi pour vous réserver un accueil que vous ne serez pas prêt d’oublier.
En attendant, votre Armando a du talent, c’est certain. Laissez donc flotter nos armes nouvelles en haut de votre mât. Mon père a fait tant de mal au peuple que je soigne que le rendre d’autant plus furieux est pour moi un bonheur semblable à celui de notre avenir que je vois radieux.
De plus, je suis éminemment persuadée que l’aigle et le chêne réunis seront entièrement du goût esthétique de ce cher nonce De Tormes lorsque nous l’accueillerons ensemble.
Prenez soin de vous,
Je vous embrasse,
Fiorenza