La cérémonie fut brève mais émouvante. Le Seigneur Arimondo de Treviso s'était avancé au coeur de la Grande Assemblée que formait le Sénat de la Sérénissime République de Venise.
Le Sénat n'était pas l'organe politique le plus visible. Il n'avait pas la popularité du grand conseil ni le prestige du Conseil du Doge. Mais son pouvoir était immense quand on réalisait qu'il orientait et encadrait deux des plus importantes activités de la République : le commerce et la diplomatie.
Venanzio n'avait guère envie de s'attarder au sein de cette cérémonie. L'établissement était rempli de patriciens ventripotents et adipeux. L'idée même de devoir recevoir l'accolade de cette centaine de pairs lui donnait la nausée. Mais il avait décidé de prendre sur lui...
Lors du pompeux discours du président de séance, le vénitien aurait facilement pu s'endormir, s'il n'avait pas été tenu en suspens par les rares et diffus moments où l'on avait fait son éloge. Passé ce supplice, on lui demanda de s'avancer puis on lui passa un large collier d'or, symbole de sa nouvelle charge. Ce geste suffit à l'assistance pour l'ovationner. On ne savait pas, néanmoins, s'il s'agissait d'une ovation sincère ou si celle-ci était provoquée par la fin proche du supplice, sonnant, par la même, l'ouverture du buffet...
Voilà. Venanzio Arimondo était sénateur de la Sérénissime République. Il allait pouvoir oeuvrer en diplomate afin de promouvoir les intérêt de Venise... et surtout les siens... N'ayant guère envie de s'éterniser à ce buffet, il prit congé après quelques verres de Prosecco pour rejoindre son nouveau secrétaire : Vittorio Stanieri. Il était impatient de pouvoir œuvrer à sa nouvelle organisation commerciale et de trouver le moyen de restituer à Fiorenza les possessions qui avaient jadis appartenu à son père.
- Mon cher Vittorio, lança-t-il aimablement à son nouveau secrétaire,
veuillez me confier en priorité les affaires qui ont trait à nos relations avec la République de Gêne, je vous prie...Le jeune secrétaire était d'un blond très clair, ses cheveux étaient longs et son allure d'éphèbe était telle qu'on l'eu cru sorti d'un tableau de Michelangello.
- Et bien, Mon Sieur, il se trouve que nous avons reçu ce courrier d'un certain Patricien Gênois, ce matin... Souhaitez-vous que je vous le lise ?- Je le ferai moi-même, mon cher ami...Le Vénitien s'empara du courrier et lu cette missive adressée au doge...
Benvenuto Scorvini a écrit:
Mon Signore,
C'est en tant que voisin, partenaire de commerce,
allié et Catholique que que je vous fays mander cette missive.
L'honnête commerçant que suys est consterné.
Hier, à l'instar des barbaresques, un certain seigneur de France, le sieur Du Faur de Saint-Jory,
fort d'une bande de soudards,
s'est arrogé le droit de descendre à terre par deux fois en mon domaine de Corse, y faysant
grands dommages et y semant consternation.
J'en appelle à vostre bienveillante sollicitude afin que je prisse langue avec gens de vostre Sérénissime
République et qu'iceux me portent assistance, et ainsi que nous mettions au pas cet arrogant protestant.
Il est bien entendu que je suys tout disposé à parler de contreparties à ladicte assistance.
Vostre Très Respectueux Benvenuto Scorvini,
Citoyen de Gênes, Négociant et Administrateur de Corse.
Venanzio posa la lettre puis se versa un verre de Prosecco. La tache de Sénateur n'avait vraiment rien de surprenant. Elle était en tout point ce qu'il avait imaginé.
- Ce brave homme a l'air bien désespéré pour penser que le Doge de Venise en personne recevrait sa missive... Nous n'allons point laisser un homme dans le désespoir. Ce serait faillir à nostre bienveillante réputation, n'est-ce pas ?
- Comme bon vous semblera, Mon Seigneur.
- Venanzio... Appelez-moi Venanzio... Bien nous allons l'aider... Cependant, il me faut savoir qui est ce Scorvini. Usez de nos espions. Nous exigerons de lui ce qu'il peut nous offrir. Et nous ferons en sorte qu'il devienne un fervent défenseur de nostre route commerciale... Celle que nous souhaitons établir entre nous et l'Espagne... Il nous faut savoir ce que cet homme a de plus cher. Ce dont il redoute le plus la perte. Et nous protégerons ce qu'il a de plus cher. Ecrivez, je vous prie.La République Sérénissime de Venise a écrit:
Mon cher Monsieur,
Le Doge de Venise fut ému par vostre vibrant appel à son bras protecteur.
Vous estes citoyen d'une austre République que celle de Venise. Aussi, il nous faudra de sérieux gages si vous souhaitez profiter de nostre bienveillance. Sachez qu'en aucun cas nous ne violerons nos accord avec Gênes.
Nous avons besoin d'une preuve de vostre bonne allégeance à vostre Doge avant de pouvoir légalement nous porter à vostre secours. Ainsi, vous voudrez bien nous transmettre, une lettre de recommandation de vostre Doge.
Chose faite, nous serons enclins à nous porter à vostre secours et à acter en justice pour que réparation vous soit faite de la part de ce noble de France qui, de toute évidence a enfreint les lois que son pays respecte par ailleurs, même si en proie à de vilaines guerres intérieures.
Nous vous fournirons navires et hommes nécessaire au rétablissement de la justice et à la sécurité de vos terres.
En échange, nous vous demanderons d'accepter que vostre terre soit ouverte aux marchands vénitiens et qu'ils puissent y aller et venir sans que taxes ou impôts prohibitifs ne puissent leur estre imposés. Ce sera tout ce que nous vous demanderons. Et cela, bien entendu, dans le but de participer au bon développement de nos deux peuples.
Bien à vous,
Pour son excellence le Doge de Venise, par Dieu et par Saint Marc,
Venanzio Arimondo De Treviso.
Patricien électeur de la Sérénissime République de Venise.
Sénateur de la Sérénissime République de Venise.
- Faites-lui parvenir cette lettre... Et envoyez-lui d'ores et déjà une petite troupe composée de 5 lanciers, 10 spadassins, 5 arquebusiers, 10 cavaliers et 5 diplomates espions sur 10 navires et leurs équipages. Par ailleurs, voyez, dans nos surplus d'armes, ce que nous pouvons, sans que cela nous fasse défaut, lui faire parvenir... Ajoutez enfin une vingtaine de chevaux. La bonne surprise l'aidera à retrouver bon moral... et à nous accorder ce que nous souhaitons.Puis le vénitien s'approcha de la grande vitre qui offrait une large vue sur la place San Marco.
- Ah... Aussi... J'ai, il me semble, désormais charge de nouvelles terres, en la région de Croatie, n'est-ce pas ?
- Il est vrai, Mon Seigneur. Ces terres faisaient partie des cadeaux du Doge, pour vostre nouveau rang de Sénateur.
- Fort bien... Alors, nous les baptiserons Venetorium Terra Croatia... Et nous y accolerons mon nom, si vous le voulez bien. Venetorium Terra Croatia Arimondo. Envoyez sur place, une centaine de compagnons. Nous y édifierons une cité prospère qui finira de rallier les Croates à nostre bon ordre.