Le Vénitien fut saisi d'un élan qu'il n'avait pas ressenti si intensément depuis bien longtemps. Cette Dame était tenace sans être revêche, elle savait être enjouée, avoir de l'esprit. Cela lui plut.
- Oh Ma Dame, croyez-vous vraiment que je puisse penser, ne serait-ce qu'une seconde du temps de nostre seigneur, que vous vaudriez un Caffe ?! Fut-il agrémenté con Grappa ? Vous m'en voyez fort peiné. Croyez-moi, Gente Dame de Gênes, aucun cadeau ne serait assez beau et non plus assez digne pour acheter ce que vous me semblez estre, à l'instant ! Et je ne commettrai point la bassesse de vous en présenter un contre faveur. Sachez, Ma Dame, que Venanzio Arimondo, patricien Vénitien, en titre des domaines Arimondo, dans la province de Treviso, n'offre de présents que par son grand playsir et que, dans tous les cas, son don, toujours, est un don véritable parce qu'il n'est point voleur. Si Valeur et Voleur commencent et s'achèvent de concert, entre temps, le a de l'Amour l'emporte toujours sur le o de l'odieux. Vous me voyez navrez, Madame, d'avoir pu laisser paraître de moi un homme qui soudoie. Vraiment. En cela, je vous présente alors mes plus plates excuses.
Il la fixa droit dans les yeux et ce regard le fit trembler quelques instants, tant il lui semblait profond et mystérieux... Il n'en laissa rien paraître. Sans doute en avait-il vu d'autres...
- Quant à vostre visite en ces lieux... C'est donc cela ! Et uniquement cela ! J'en suis fort aise.. Vous estes donc venue vous ressourcer... Vous divertir... Et bien sûr uniquement cela... Car évidemment, nous sommes tous ici pour cela et grand Dieu pour rien d'austre... Vous estes donc venue profiter des oranges, des citrons, des olives et autres bienfaits de ceste belle et pacifiée isle. Vous estes venues caresser les chèvres que l'on rencontre si souvent, chemin faisant, sur le plateau aride qui domine la mer... Ceste isle est, en effet, tout le monde vous le dira, le meilleure endroit qui fut, pour sympathiser avec nos amies les chèvres... Il n'existe, dit-on, sur la surface du vaste monde, pas meilleur lieu pour caresser leur pelage rêche et mal-odorant !!! Et il est bien convenu que nous sommes tous ici pour cela... Le monde entier vient ici caresser les chèvres. Comme nous tous, donc, vous estes venue dans le but de manger du fromage au grand air... Ah ce petit fromage, tant sec que nauséabond, patiemment moulé à la main par les vieux bergers à la peau dure et burinée par les vents... Vous estes venue en ces lieux, comme nous tous, comme ce bon Monsieur De Metternhoven, là bas, afin d'emplir vos poumons de sels salvateurs et vostre panse des bienfaits de dame nature ! Et bien sûr, uniquement dans ce but ! Cela va sans dire...
Il s'interrompit pour porter sa tasse à sa bouche.
- UNIQUEMENT pour vous ressourcer, vous divertir, dites-vous... Oui oui... et voyez-vous, Ma Dame, je vous crois. Oui. En effet... Ou plutôt... je vous comprends... Poursuivit-il posément... Car... Cela ne doit pas estre très facile, en ce moment... Tant il est vrai qu'aux alentours d'Urbino, les temps semblent bien lourds et forts inquiétants, n'est-ce pas ?
Il se rapprocha du visage de Fiorenza et dut fixer un point précis, en l’occurrence son oreille, pour ne pas défaillir face à la troublante beauté qui en émanait.
- Si vous estes venue chercher divertissement, je puis me faire un playsir d'estre vostre bon et dévoué guide... Et pour commencer, je vous conseillerai donc... les bains... Je suis certain que vostre bon fondé de pouvoir se fera une grande joie de vous y accompagner... pour... vous protéger... Et puis, entre nous, vostre présence lui sera, je crois, grandement utile, pour l'aider à assumer, dans l'honneur et la bienséance, ses pulsions envers les jeunes éphèbes... ne croyez-vous pas ? fit-il à voix basse et sur le ton de la confidence, à l'oreille de Fiorenza...
En face, le secrétaire qui n'avait pas clairement entendu cette conversation, mais qui se doutait bien que ce cuistre était en train de rire à ses dépens, se donnait une contenance en buvant bruyamment... Un sourire, dissimulé tant bien que mal, éclairait le visage du Vénitien quand il se rassit convenablement.
- J'ai ouï dire, reprit-il, que la question fiscale causa bien des tourments, tant aux bourgeois et austres paysans qu'aux Seigneurs et Dames, dans voste partie du vaste monde... Est-ce là baliverne ou me le confirmeriez-vous ? On raconte également que de nombreux nuages commencent à rendre cet hiver bien insupportable, sur ces terres-là de nostre belle Italie. Alors oui, Ma Dame, je vous comprends d'avoir voulu fuir ceste tempeste telle qu'elle s'annonce... Et puis... qui sait... en venant se ressourcer en ce lieu, on trouve parfois plus que la simple paix du Christ... Plus qu'une simple chèvre à caresser... On trouve parfois des idées rédemptrices et de l'aide promptes à nous libérer... Et alors, il peut que l'on s'en retourne triomphalement... Peut-estre est-ce bien ce que vous estes venue quester ?
Il termina cul sec sa tasse de Caffe con Grappa, puis la reposa avec force et élégance.
- Pour finir, je dirais que si vous estes venue vous divertir et oublier l'hiver, ma couche sera bien aise de vous accueillir, Ma Dame... et avec force et mâle générosité... Ainsi, évidemment, et s'il y tient également, que Mon Sieur vostre bon Secrétaire... En effet, ma couche est grande et hospitalière... A moins que vous préfériez que nous allions, ensembles, caresser les chèvres ? Ce sera tout à vostre Loysir, ma chère... Lança-t-il en souriant. Si vous estes venue quester de l'aide pour des affaires dangereuses et inextricables, peut-être aussi que cela put m'intéresser... Voyez-vous, encore d'avantage que les ennuis et austres épreuves pour lesquels j'ai fort engouement, j'aime à me mettre aux côtés de la beauté... C'est plus fort que moi... Oui je l'avoue... L'on peut tout risquer si l'on a la beauté avec soi. Le danger ou le risque ne perdurent jamais quand les choses sont entreprises, avec audace, au nom de la beauté... Dans tous les cas, Ma Dame, il faut que vous sachiez que face aux choses mystérieuses et imperceptibles que vous m'inspirez, je ne me crois pas capable d'estre un jour vostre ennemi.
Un silence s'installa sur ces mots. Il remplit de façon quasi-cérémoniale un verre de cristal avec de l'eau puis le tendit à la jeune femme, la fixant droit dans les yeux.
- Alors ? Dans quel inextricable situation êtes-vous empêtrée, Ma Dame ?
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